jeudi 6 mai 2010

La peur

Auteur : Gabriel Chevallier
Editions : Le Dilettante (2008)
Nbre de pages : 349

Présentation de l'éditeur :
Paru en 1930, ce livre, largement autobiographique et dont le titre était un défi, raconte la terrible expérience des combattants de 14-18 face à la férocité et l’inutilité de cette guerre. Au Dilettante, nous n’abusons pas des superlatifs mais il s’agit sans nul doute d’un chef d’oeuvre... Écoutons Jacques Tardi : « Tout le monde devrait lire et relire La Peur. »

Mon avis :

Jean Dartemont, le narrateur, est étudiant (19 ans) lorsque débute le conflit de 14-18.
Avec cet ouvrage et à travers son personnage, l'auteur nous fait découvrir toutes les horreurs de la guerre et tout le ressenti des poilus face à ce combat.
On vit finalement le quotidien de ces soldats avec leurs interrogations sur l'intérêt de cette guerre et surtout tout ce qu'ils refusent d'admettre lorsqu'ils sont contraints de sortir des tranchées ou de l'arrière pour combattre les Allemands.
Je pensais fatalement, tenant le côté autobiographique de ce livre, qu'il serait plus difficile à lire. Non pas que les nombreux passages où Gabriel Chevallier décrit les mutilations sont supportables (loin de là), mais le ton qu'il donne à son ouvrage fait qu'indéniablement on s'y accroche et les pages filent rapidement.
On comprend ce que ressent ce jeune homme qui à 19 ans aurait préféré être ailleurs que dans les tranchées à tenter de sauver sa peau par n'importe quel moyen et où la peur ne serait pas constamment présente :
J'imaginais un homme pareil à moi, c'est-à-dire jeune, plein de projets et d'ambitions, d'amours pas encore définies, à peine dégagé de l'enfance et sur le point d'entreprendre. La vie ressemble pour moi à une partie qu'on entame à vingt ans et dont le gain se nomme réussite : argent pour la plupart, réputation pour quelques-uns, estime pour les plus rares. Vivre, durer, n'est rien; réaliser est tout (...)
Si je devais mourir maintenant, je ne dirais pas : c'est affreux ou c'est terrible, mais : c'est injuste et absurde, parce que je n'ai encore rien tenté, rien fait qu'attendre ma chance et mon heure, qu'emmaganiser de la force et patienter... (p. 52-53)
Ce qui est également frappant, c'est lorsque l'auteur décrit les combats. C'est à peine si l'on n'entend pas les tirs de fusil ou de grenade, les cris d'agonie ou au contraire de motivation. On vit l'Histoire en même temps qu'on la lit !

Soudain, dehors, frappant comme un obus sur notre somnolence, le cri brusque, impératif :
- En avant !
- En avant ! en avant ! répétèrent les sergents. Déblayez l'entrée.
(...)
- Attention ! cria le soldat qui se tenait sur les premières marches.
La rafale craqua tout près. L'entrée fut un rectangle rouge, aveuglant, devant nos yeux. La cave trembla. Les respirations haletaient.
- En avant ! Vite ! Vite !
On se jeta dehors en tombant, en s'accrochant, en criant. On se jeta dans la nuit froide, sifflante, dans la nuit en déflagration, la nuit pleine d'obstacles, d'embuscades, de tronçons et de clameurs, la nuit qui cachait l'inconnu et la mort, rôdeuse muette aux prunelles d'éclatements, cherchant ses proies terrifiées. (...)
La panique nous botta les fesses. Nous franchîmes comme des tigres les trous d'obus fumants, dont les lèvres étaient des blessés, nous franchîmes des appels de nos frères, ces appel sortis des entrailles et qui touchent aux entrailles, nous franchîmes la pitié, l'honneur, la honte, nous rejetâmes tout ce qui est sentiment, tout ce qui élève l'homme, prétendent les moralistes (...)
Nous fûmes lâches, le sachant, et ne pouvant être que cela. Le corps gouvernait, la peur commandait." (p. 76-77)
Ces soldats, ces hommes, demeureront écorchés vifs tout au long de leur vie tant physiquement que psychologiquement. Ils n'ont pas voulu cette guerre, ils veulent être ailleurs. Ils sont là "parce qu'[ils] ne peuvent pas faire autrement" et la seule façon pour eux de s'éloigner du front, de l'horreur, c'est d'être blessé, sans que cela soit de façon mortelle, ou de se mutiler eux-mêmes pour être réformés.
On sent alors leur détresse, leur désespérance face à leur avenir si noir.
J'ai réellement était touchée par tout ce que ce livre m'a fait découvrir, connaissant finalement plutôt mal la Grande Guerre de 14-18, dite guerre des tranchées. Mais en lisant cet opus, on se rend compte que c'était aussi "une guerre d'engins". Les soldats ne suffisaient pas pour faire reculer l'ennemi. Des millions de français ont perdu la vie dans ce conflit et ça marque d'autant plus avec les mots.
- Ca finira donc jamais c'te saloperie !
- Mais si, mon vieux, ça ne peut pas durer toujours.
- Ah ! bon Dieu !... si on mettait en scène le père Joffre là dans mon trou, et le vieux Hindenburg en face, avec tous les mecs à brassard, ça serait vite tassé leur guerre !
Au fond, ce raisonnement n'est pas si simpliste qu'il y paraît. Il est même lourd de vérité humaine, de cette vérité que les poilus expriment encore de cette manière : C'est toujours les mêmes qui se font tuer !" (p. 192)
On voit alors l'évolution du personnage Jean Dartemont dans ses réflexions au fur et à mesure que la narration avance, tout comme la guerre qu'il nous raconte. Au départ, la peur est omniprésente puis la haine prend le dessus. Une haine, non pas contre l'ennemi, mais contre l'injustice face à ceux qui veulent ce conflit parce qu'au final les "Boches" (comme les poilus les appellent) vivent la même douleur, la même injustice.
"Nos uniformes diffèrent, mais nous sommes tous des prolétaires du devoir et de l'honneur, des mineurs qui travaillent dans des puits concurrents, mais avant tout des mineurs, avec le même salaire, et qui risquent les mêmes coups de grisou." (p. 283)
Cet ouvrage m'aura beaucoup touchée, non pas par son côté brutal nous obligeant à voir les horreurs qu'une guerre engendre, mais plus par le fait que le narrateur analyse tout ce qu'il vit et perçoit dans les agissements et les paroles de ses supérieurs.
Ce fût une guerre totalement différente de celle de 39-45 mais il est nécessaire, ici aussi, de lire ce genre d'opus pour ne pas oublier ce que ces soldats ont pu vivre pendant plus de 4 ans !

5 commentaires:

  1. Merci pour cette découverte ! Dans le même veine sur la guerre de 14-18, à lire aussi La chambre des officiers de Marc Dugain. Très intéressant aussi.

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  2. Ton avis est magnifique. Je suis contente que ce livre est pu te toucher...

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  3. @ Alcapone : Merci du conseil. "La chambre des officiers" est dans ma LAL aussi. Une future lecture que j'ai hâte également de découvrir.

    @ Malorie : Merci à toi pour la suggestion. Sans ton avis précédent, je ne l'aurais pas ouvert vu que je ne connaissais pas du tout l'auteur.

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  4. C'est un ouvrage que j'ai lu il y a très longtemps maintenant, en édition de poche ! Et je dois reconnaître que ce texte m'avait beaucoup touchée à l'époque. Je veux le relire absolument. Dans la même veine, et en autobiographie, il y a "Le feu" de Henri Barbusse. Admirable et tragique à la fois !

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  5. J'ai déjà lus quelques livres sur cette guerre. La condition des soldats étaient vraiment terribles, on ne devrait pas oublier cette guerre et ces malheureux, tu as raison !

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